Aventrure écriture #5 : Vers le printemps

écrivain Arthur Constance, portrait

Aventrure écriture #5 : Vers le printemps

Nous voici au début de l’année 2022.

Comme je l’expliquai à la fin du chapitre 3, j’avais une bonne intuition, je ne savais pas pourquoi, mais je sentais que cette année allait être décisive. J’allais sortir du désert, terminer mon virage : fini le RSA, les rendez-vous pôle emploi, fini l’impression frustrante d’être face à un mur, un mur très fragile de l’autre coté duquel se trouve une forme de réussite littéraire ; être lu, vivre de sa plume… la sortie du virage, la fin des hautes dunes…
Un mur lézardé, tordu, détruit d’un simple courant d’air.
Un rien et je sortais du désert.

Seulement voilà, à cette époque j’avais quitté Paris depuis presque deux ans et demi, je m’étais isolé, mes finances n’étaient pas en forme, et ce mur pourtant si fragile continuait de me résister.
Voilà un résumé de ma situation à l’hiver 2021-2022.
L’hiver…

Sommaire

Un hiver sans chauffage

L'aventure sur un fauteuil (froid)

Au début c’était pour faire des économies. Réduire la facture d’électricité en retardant d’un mois l’allumage du chauffage, rien de nouveau chez les prolos.

Et puis c’est devenu un challenge.
Allez, un mois de plus, avec une douche froide tous les matins (c’est bon pour la santé).

Le mois suivant, c’est devenu plus ou moins littéraire. À l’époque, je terminais la première mouture de mon premier roman. Une partie de l’histoire se déroulait dans le froid, au-delà du cercle polaire… vous me voyez venir…

Passer un hiver dans le froid…
Était-ce une excuse ?
Était-ce une expérience ?
Était-ce une tentative d’identification au personnage ?

Sans doute un peu de tout ça, et probablement bien d’autres choses encore.
Seule certitude : j’ai eu froid !

Iciçakaï

Non, ce n’est pas du japonais.
Oui, j’ai vraiment coupé mon chauffage et pris des douches froides tous les matins, durant tout l’hiver.

Enfin, presque…
Je réglais les radiateurs en « hors gel », et l’après-midi je chauffais un peu pour pouvoir faire mes exercices de kiné, sans quoi c’était presque impossible, et dangereux.
(La triche !)

Néanmoins, ce fut une réussite.
Ma facture d’électricité baissa (pas tout de suite : en été…).
Je pense avoir affûté ma volonté (il en faut pour tourner le robinet d’eau froide quand il fait moins de dix degrés dans la salle de bain).
Je me suis effectivement senti plus proche de mon personnage principal.

Victoire !
(un peu)

Plus de froid, plus d’aventure, plus de Nord !

Emmitouflé dans deux t-shirts, deux sous-pulls, trois pulls, deux gilets, deux voire trois pantalons et ma robe de chambre (si si), je me projetais plus loin.
Et si j’allais sur le cercle polaire ?
Et si je montais jusqu’au cap Nord ?
Et si je parcourais le même trajet que mon personnage principal ?

Là ce serait l’aventure, la vraie ! Et puis ce serait aussi l’occasion de faire un peu de promotion. Je regardai le trajet, calculai le coût de l’essence.
C’était cher.
Très cher.
Et puis il faudrait aussi aménager ma voiture.
Ma voiture… ma fidèle voiture…
Elle avait trente ans.
Ça risquait d’être compliqué.
Très compliqué.

Le travail c'est la santé

Bis repetita…

Le roman n’allait pas se terminer tout seul. L’heure était à la réécriture et je m’y employai dès le mois de janvier.
Objectif : Terminer une version susceptible d’être envoyée à des Beta-lecteurs à la fin de l’année.

Dans le même temps :

  • Je continuai de me former à la gestion du site internet.
  • J’ajoutai des pages, des articles.
  • J’achetai des extensions.

Objectif : vendre 10 livres sur le site avant la fin du premier trimestre.

… de Charybde en Scylla

À la fin du mois de mars, je dus me rendre à l’évidence.
Je n’avais pas atteint mes objectifs de ventes.

J’avais avancé sur la réécriture.
J’avais progressé dans ma gestion du site. J’ai appris, j’ai testé, j’ai amélioré. Le site était beaucoup plus agréable à consulter, il était plus fourni, plus joli…

Mais sur le plus important, le capital, l’indispensable, j’étais en échec.
Nul, zéro, nada, pas un seul livre.

Enfin si !
Un seul !
Toute une histoire…

Écrivain 2.0

La tentation des réseaux

J’avais l’impression de n’entendre parler que de ça : vendre grâce aux réseaux sociaux. J’ai regardé quelques vidéos, quelques tutos. Des écrivains semblaient réussir.
Pourquoi pas moi ?

J’aime bien la photographie alors je me suis dit qu’Instagram (@arthur.cstc, pour les curieux) serait un choix judicieux pour promouvoir mon livre.
Non pas comme un gros bourrin à copier/coller un résumé de mon livre sur tous les posts avec le #littérature, mais en commentant les posts ou en likant les photos.
Oui c’est fourbe, je sais.
Mais rassurez-vous, j’ai arrêté.
Et heureusement, comme j’étais le seul à pratiquer ce genre d’imposture, Instagram est un endroit sûr maintenant.

Bref, je likais, je commentais, je postais aussi quelques photos.
Des internautes répondaient, visitaient mon profil et parfois consultaient mon site internet.
Sans acheter mon livre, sans même télécharger un extrait.

Sauf une fois !

Lecteurs : zéro ?

C’était au tout début de l’année.
Le 3 janvier pour être précis.
Ce jour-là, au réveil, j’ai lu un message étrange sur mon téléphone :

[Arthur Constance] : Nouvelle commande n°****

Le nom de l’acheteur m’était inconnu.
Sûrement un ami de la famille.

Sauf que non, après enquête (oui oui une enquête) il s’avéra que personne ne connaissait ce lecteur.
Mon premier « vrai » lecteur !
Ma première « vraie » vente !
Sur le coup, je me suis dit que c’était un signe, enfin, ça y était, j’allais sortir du désert, du virage, magnifique, mon intuition était juste, c’était la fin des temps difficiles !

Si tu passes par ici, chère B., merci beaucoup !

Mais ce ne fut qu’une bulle de champagne…
Les jours, les semaines, les mois s’écoulèrent, sans bulles, sans alcools, sans fêtes plus folles.

Se découvrir en avril

De découvertes en découvertes

Nous voilà au printemps.
Déjà.
Les arbres bourgeonnaient, les oiseaux chantaient, la nature se réveillait.
Mais j’avais froid comme en plein hiver.

Je me suis résigné. Il était temps de prendre un travail alimentaire. Il était temps de prendre acte d’une certaine forme d’échec. Il était temps de changer de stratégie, de devenir plus raisonnable, de rentrer dans le rang.
J’avais tenté, j’avais échoué, c’est le jeu.
Alors j’envoyai des CV. Je postulai à des emplois de manutentionnaires, de chauffeurs-livreurs.
Sans succès.
Je participai à un salon pour l’emploi. On me parla d’intérim, de travail à l’usine, de construction, de bâtiment… pas du tout le genre d’emploi que j’envisageais.
Je donnai quand même mon CV, je me disais que si je ne trouvais rien d’ici le mois de septembre, il faudrait bien que je me résigne.

Et puis je me souvins d’une idée, une idée en l’air, une idée qu’on m’avait jeté dans le creux de l’oreille au tout début, un an auparavant, juste après la réception de mes livres trop bleus aux pages trop blanches.

J’avais encore une carte à jouer.
Une seule.
La dernière.

Démarcher des marchés

Oui, les marchés ! Vendre mon livre sur les marchés !
Je sais, je sais : quelle drôle d’idée, ça ne peut pas fonctionner, aucun écrivain ne vend son livre sur les marchés, ce n’est pas le lieu adéquat, c’est pour les fruits et les légumes, les vêtements éventuellement, mais pas pour un livre.

Je m’étais dit la même chose au début.
Mais quand même, et puis au point où j’en étais…

Plus haut, je vous ai parlé de voyage au-delà du cercle polaire arctique ; je voulais y monter pour le 21 juin, le jour du solstice, photographier le soleil de minuit, faire la promotion du roman, toutça-toutça… Et cette idée, bien que farfelue, bien qu’impossible, ne m’était jamais complètement sortie du crâne (oui j’ai la tête dure), et j’avais toujours envie de tenter l’aventure.

Et après ? En plein été ? Pourquoi ne pas faire le tour de France des marchés avec mon livre ?
Voilà un super plan !

Je me suis renseigné.
J’avais besoin d’une carte de commerçant itinérant pour avoir le droit de vendre mon livre sur les marchés.
J’ai fait une demande.
On ne m’a pas répondu.
J’ai attendu, une semaine, dix jours… toujours pas de réponse. Je téléphonai ; ce n’était pas le bon organisme…

Marché ou crève

À la mi-mai, ma situation financière (déjà pas fameuse) devint dangereuse. J’ai laissé de côté le voyage vers le cercle polaire et je me suis pressé d’obtenir la précieuse carte de commerçant itinérant.
Au lieu de commencer mon tour de France au mois de juillet, je m’y emploierai au plus tôt.
Et ce plus tôt, ce grand jour eut lieu le jeudi 26 mai 2022, à Villefranche-de-Rouergue.
Ma dernière carte.

Je bricolai un stand avec une vieille table de jardin, une chaise du même acabit, un vieux rideau doré qui faisait ressortir la couverture bleue du livre, et en décoration : une machine à écrire.
Hop !
Voilà ce que ça donnait :

Le baptême du feu

Dès l’aube…

Pendant une semaine je fus parcouru par cette énergie si particulière des découvertes, des premiers jours d’école, de travail, des rencontres, un mélange de stress, d’excitation et d’adrénaline qui infuse partout où se vit de la nouveauté. Au matin du 23 mai, je fus debout dès l’aube. Incapable de petit déjeuner, j’enfilai ma plus belle chemise et pris la route.

J’arrivai très tôt à Villefranche. Grâce à mon tout petit stand, le placier me trouva un super emplacement ; à côté de la cathédrale, entre la place Notre Dame et la place André Lescure, l’endroit parfait.

Je déballai, je m’installai, et une commerçante m’interpella :
– Ben, qui t’a dit de te mettre là, c’est la place à Cui-cui ?
– Ah bon ? Mais le placier m’a dit qu’il n’y avait personne. La semaine dernière il a placé une association.
– Cui-cui vient que les jours fériés.

Bon… je continuai de m’installer.
Cui-cui arriva. Pas content. Et comment ça ! Et il vient depuis trente ans ! Et c’est sa place ! etc.
J’expliquai que le placier m’avait attribué cette place. Il n’avait qu’à l’appeler.
Il n’avait pas son numéro.
Je le lui ai donné.
Il téléphona, le placier me donna raison.

Cui-cui avait un tout petit stand, encore plus petit que le mien. Sur un trépied de musicien, il avait fixé les appeaux qu’il vendait, et dont il faisait la démonstration toute la matinée. À l’époque je ne le savais pas, mais son stand était assimilé à celui des musiciens itinérants ou aux artistes de rues, qui ne paient pas leur place et s’installent un peu partout, et parfois n’importe où.

Bref, pour détendre un peu la situation, je lui proposai de s’installer à côté de moi. Il me dit qu’il faisait beaucoup de bruit et que ça allait me faire du tort. Je lui demandai de ne pas jouer quand je présenterai mon livre. Il fit la moue. Finalement, on s’aperçut qu’une place se libérait à une dizaine de mètres. Cui-cui semblait être un habitué, c’était mon premier marché, je ne voulais pas faire d’histoire et déplaçai donc mon stand.

...je fus témoin…

Ce nouvel emplacement était accolé à la cathédrale.
Le titre de mon livre est « Les grands espoirs sous la Lune ».
Je portais une chemise sous un pull bleu marine, un pantalon et des chaussures relativement habillées, un joli costume d’écrivain.

Les passants passaient.
Me regardaient, parfois un peu surpris.
Je lançais des « bonjours » timides pour essayer d’attirer leur attention.
Je donnais des marque-pages.
Certains s’arrêtaient, discutaient et repartaient.
J’essayais de présenter mon livre. C’était très très très dur. Je m’emmêlais les pinceaux, je bafouillais, je bégayais comme un écolier qui n’a pas appris sa leçon.
C’était plus facile dans ma tête, quand je m’imaginais parler de mon livre avec éloquence, et en vendre des dizaines (faut bien rêver).

Et puis un homme vint droit vers moi, il me posa des questions sur mon livre, des questions sérieuses, précises ; de quel genre est le livre ? Comment je l’ai édité ? Combien de temps j’ai mis pour l’écrire… Là encore je bafouillai, les mots ne venaient pas, mais le monsieur était patient.
Peut-être mon premier lecteur ?

J’ai le stand à côté de la charcuterie, là-bas, finit-il par me dire, on pensait que tu étais un témoin de Jéhovah.

C’était la première fois qu’on me faisait la remarque.
Il y en eut bien d’autres.

…d’une possibilité.

J’ai remballé mon stand à midi et demi.
J’avais vendu cinq livres.
Cinq livres !

En un seul marché, j’avais plus vendu qu’en un an et demi de tentatives sur Internet ou dans les librairies.
Et ce n’était pas fini.
Le samedi je suis allé au marché de Rodez.
Là-bas encore, cinq livres vendus !
En deux marchés j’avais atteint l’objectif du premier trimestre.
Cette dernière carte était peut-être la bonne !

Une nouvelle stratégie

Tout miser sur les marchés

Après une telle réussite, je continuai d’installer mon petit stand à Villefranche et Rodez. Mais je fus vite confronté à plusieurs problèmes.

1 : La pluie.
Elle me surprit un matin à Villefranche-de-Rouergue. Sans parasol, j’ai pu abriter mon stand sous les voûtes de la cathédrale (merci sœur Marie). Mes livres étaient à l’abri, mais personne n’en acheta. Les passants pressés de faire leurs courses alimentaires ne prenaient pas le temps de regarder les autres stands.

2 : Le nombre de marchés.
Deux marchés par semaine c’était trop peu pour vivre de ma plume. De plus, j’avais besoin de gros marchés avec beaucoup de passage. L’Aveyron est un département magnifique, très rural, les gros marchés sont rares.

Je devais chercher un département où il ne pleut pas, et où il y a beaucoup de marchés.
Je savais exactement où aller !

Les marchés du soleil

J’ai passé les vingt premières années de ma vie sur le littoral méditerranéen, entre Narbonne et Perpignan, où je suis né.
Au mois de juin, j’eus l’occasion de passer une petite semaine dans le village de mon enfance, juste à côté de Leucate, où il y a des marchés tous les jours en été.
En cinq marchés, j’ai vendu 21 livres !

J’avais un nouveau plan, j’étais peut-être sauvé, je n’aurais sans doute pas à travailler à l’usine ou dans un supermarché, ni même à trouver un travail à mi-temps.

À bientôt pour la suite !
Arthur

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