Les Barbares de Baricco # 5 : Show must go on !

écrivain Arthur Constance, portrait

Une invention technologique permet à un groupe humain aligné essentiellement sur le modèle culturel impérialiste d’accéder à un geste qui lui était jusque là interdit et qu’il relie d’instinct à un spectaculaire immédiat, à un univers linguistique moderne, conduisant ainsi ce geste à un succès commercial foudroyant.

Allez, encore un petit effort, nous sommes presque arrivés au bout de nos explications. Dans ce billet, nous allons nous intéresser à ce qu’Alessandro Baricco nomme le spectaculaire immédiat.

Qu’est ce que c’est que ce cirque ?

Oui, quand on parle de spectacle et d’Amérique (le modèle culturel impérialiste) on a vite fait d’imaginer des films à grands spectacles, avec des explosions dans tous les sens et un héro badass sous stéroïdes.

Sauf que non.
Ce n’est pas ça le spectaculaire immédiat, en tout cas, pas uniquement.

Après la lecture du livre de Baricco, il me semble que nous pouvons articuler cette notion autour de deux axes :

1 : Le refus de l’effort.

Pourquoi refuser l’effort, la difficulté, le travail… ?

Car travailler c’est s’arrêter, descendre dans les profondeurs d’un domaine, passer du temps à l’étudier, à le comprendre. Il faut du temps pour éduquer son palais, et être capable de déguster un bon vin. De la même façon, lire des auteurs du XVIIIe, du XIXe et même du XXe siècle ne s’improvise pas, il faut apprendre l’histoire de ces périodes, accepter des façons d’écrire différentes, les textes sont parfois compliqués, et la naration n’est pas toujours haletante.

Autrefois, explique Baricco, descendre dans les profondeurs d’un domaine, dompter sa complexité, le comprendre, avais du sens, c’était une façon pour les bourgeois de s’affirmer socialement (face aux aristocrates).

Or, si l’effort était un plaisir (et un intérêt) hier, ce n’est plus le cas aujourd’hui (pour les Barbares). Aujourd’hui, le sens de l’effort a disparu. (Non, je ne suis pas sponsorisé par le Medef)

Le Barbare a cessé de penser que le chemin vers le sens passait par l’effort et que le sang du monde coulait en profondeur, là où seul un dur travail de fouilles pouvait l’atteindre. (page 168)

Mais alors, me direz-vous, si le Barbare ne creuse pas, que fait-il ?
Il surfe.

Les Barbares c'est plus ce que c'était...
surfeur

2 : Un horizon à l’horizontale.

Le mouvement vertical a perdu son sens, place à l’horizontalité, place au surf. Pour le Barbare, ce mouvement permet d’embrasser « une grande quantité de monde », c’est à dire vivre de nombreuses expériences. Boire du vin sans être un grand œnophile, écrire un livre sans être un grand écrivain, voyager sans être un explorateur ni un anthropologue, mais vivre toutes ces expériences, réussir à les savourer et être capable de passer de l’une à l’autre, d’un saut, d’une impulsion, trouver dans chacun de ces domaines une énergie nouvelle pour être propulsé vers une activité inconnue, et devenir chanteur, cinéaste, viticulteur… Voilà ce qui fait sens pour le Barbare.

Et pour faire tout cela, il ne faut conserver de ces métiers/activités que l’aspect le plus visible, le plus extérieur, le plus simple : le spectaculaire.

Vous n’arriverez jamais à approcher sa façon de penser [au Barbare] si vous n’arrivez pas à imaginer que le spectaculaire, pour lui, n’est pas un des attributs possibles de ce qu’il fait, c’est ce qu’il fait.


Le spectaculaire est donc une conséquence et une nécessité de cette nouvelle façon de trouver du sens.

Et dans la littérature, comment ça se passe ?

Oui, après tout, c’est ce qui nous intéresse.
Alors, où est le spectaculaire Barbare en littérature ?

Et bien, pour faire simple : dans tout ce qui est accessible sans effort, où le plaisir esthétique vient sans sollicitation d’une culture profonde. Les textes sont vierges de références obscures, ne nécessitent pas de concentration, l’émotion est livrée au lecteur comme un repas commandé en ligne, il n’y a qu’à ouvrir et déguster ; tout est préparé pour plaire et être compris par le plus grand nombre : amour y rîme avec toujours.

Pour le reconnaître dans les critiques « traditionnelles », Baricco donne des exemples d’expressions utilisées par les critiques et autres défenseurs du bon goût et de la qualité : « séduction, virtuosité, gonflette, et d’adjectifs comme facile, racoleur, habile. » Parmi tous ces mots, le terme « kitsch » est sans doute le plus révélateur : « … quand la séduction excède le raisonnable ou, pire, s’exhibe en l’absence de toute substance digne de ce nom, le kitsch apparaît ». (pages 166-167)

Tout cela est flou.

Je vais vous donner un exemple, et encore, un que je n’ai pas lu… : Toujours plus + = + de Léna Situation. Dans l’article les nouveaux critères de la qualité littéraire j’ai déjà abordé ce livre, et notamment la critique de Frédéric Beigbeder, dont je rappelle le sous-titre : « Le livre qui se vend le mieux en France est tellement sucré qu’il rend les doigts poisseux ; nous en déconseillons la lecture aux diabétiques. » Sucré, ce terme ne fait pas partie de la liste d’Alesandro Baricco, mais l’idée générale reste présente.

livre + = + de Léna Situation
livre Les barabres - essai sur la mutation de Alessandro Baricco
Frédéric Beigbeder écrivain
Couverture du livre + = +, de Léna Situation
couverture du livre Les barabres essai sur la mutation de Alessandro Baricco
écrivain Frédéric Beigbeder, portrait

Mouai… mais encore ?

Le spectaculaire, le racoleur, la virtuosité… les Barbares ne les ont pas inventés. Quand Flaubert écrit Madame Bovari, il fait scandale, il racole. Quand Proust étire ses phrases jusqu’à ce que le lecteur en oublie le début, c’est aussi une forme spectaculaire. Et Céline ? n’est il pas un virtuose ?

Pourtant ce ne sont pas des Barbares.

Je pense que pour distinguer un auteur Barbare d’un auteur traditionnel, il faut se poser la question : Pourquoi je souhaite lire ce livre ? Ou : Pourquoi j’aime lire ce livre ?

Si la réponse est littéraire : pour le style de Proust ou de Céline, par exemple, alors le spectaculaire de l’œuvre n’est qu’un ornement. Si la réponse est hors du champ littéraire : parce que c’est mon youtubeur / comique / présentateur / acteur… préféré, parce que je ne me sens pas bien, je ne veux pas me prendre la tête… alors le spectaculaire tient lieu de substance.

Le spectaculaire dans la littérature européenne du XXe siècle : de l’ornement à la substance, histoire d’une mutation barbare.

Ça pourrait être le titre un mémoire de fin d’études, si un chercheur passe par ici, qu’il ne se prive pas pour développer, moi je ne suis pas suffisamment cultivé pour aller plus loin que cet article.

En attendant, nous savons ce qu’est le spectaculaire, sur quoi il s’appuie : le refus de l’effort et une approche horizontale de l’existence.

Nous savons comment le repérer dans les critiques littéraires où il est qualifié de séducteur, virtuose, gonflé, facile, racoleur, habile, kitsch, sucré…

Et nous savons le reconnaître en nous demandant : Pourquoi je souhaite lire ce livre ? Pourquoi j’aime lire ce livre ?

Dans le prochain billet, nous conclurons cette série d’articles en abordant le succès commercial des œuvres Barbares.

À bientôt
Arthur.

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