Les Barbares de Baricco # 1 : Au commencement était le geste.

écrivain Arthur Constance, portrait

Italie, 2006. Un intellectuel publie chaque semaine dans le journal Republica, un article dessinant le portrait d’un nouveau groupe humain : un groupe qui semble vivre d’une façon tout à fait originale, en opposition complète avec les usages habituels. Avec eux arrive une nouvelle apocalypse, terrible, incompréhensible !

Ça alors… mais qui sont ces gents ? Me demanderez-vous. Notre intellectuel, peut-être inquiet du sort, voire du sac, de Rome, les nomme : Barbares.

évolution des barbares
évolution des Barbares

Barbare ? Quésaco ?

Barbare, en voilà un mot, et des plus injuriant même. Quel mépris ! Et pourquoi pas sauvage ? Est-ce là une expression de dédain bourgeois ? Une manière du haut peuple des grands cercles culturels de flétrir d’infamie les nouveaux venus, fanzouzes, sans dents et autres domestiques, tout juste bons à se faire trousser ?

Non.
Enfin, pas tout à fait.

Mais d’abord, puisqu’il faut rendre à César ce qui appartient à César – en particulier quand ledit César est Italien – voici son auteur, celui qui a décidé d’utiliser ce terme : Alessandro Baricco, dans son essai : Les barbares, essai sur la mutation.

portrait de l'auteur et couverture de son livre
Alessandro Baricco et son livre : les barbares essai sur la mutation

Ici, et dans les prochains articles, je vais m’employer à expliquer l’idée développée dans cet essai, en quoi cette « mutation » nous concerne tous, écrivains compris, et en particulier les auto-édités. Je synthétiserai ensuite ces articles sur une page du site. N’hésitez donc pas à contribuer à son élaboration en commentant les publications, vos idées pourraient alimenter les miennes.

Revenons à notre terme : Barbare, ou plutôt, au phénomène de barbarisation, définit par Baricco de la façon suivante :

Une invention technologique permet à un groupe humain aligné essentiellement sur le modèle culturel impérialiste d’accéder à un geste qui lui était jusque là interdit et qu’il relie d’instinct à un spectaculaire immédiat, à un univers linguistique moderne, conduisant ainsi ce geste à un succès commercial foudroyant.

Vous n’avez rien compris ?
C’est normal.

Les articles suivants s’appuieront sur cette phrase, elle sera notre fil d’Ariane dans le labyrinthe Barbare, et à la fin, quand vous aurez lu tous les articles, vous la comprendrez.

Une dernière précision : cette série d’articles risque d’être longue (à écrire et à lire). Si vous êtes pressé ou n’aimez pas lire (et que vous avez 2 heures devant vous) je vous invite à regarder cette (excellente) conférence :

Pour ceux qui ont lu mon recueil, la nouvelle « Le barbare » a été très inspirée par cette conférence. (à l’époque, je n’avais pas encore lu le livre)

Vous avez continué de lire cet article, je vous remercie. Nous allons donc décortiquer la précédente citation, en suivant ce plan :

  1. Le geste.
  2. L’invention technologique.
  3. Le spectaculaire à l’américaine.
  4. La langue.
  5. Le succès commercial.

Qu’est-ce qu’un geste ?

Boire du vin, lire, écouter de la musique, écrire, chanter, tous ces « gestes » (qui sont des verbes) ont été, pendant longtemps, réservés, si ce n’est à une élite, disons à un groupe de personnes, nées et élevées dans un milieu où ces gestes étaient courants.

Cette phrase est floue. Je sais. Je vous la clarifie avec un exemple tiré du livre :

Le vin

Ce n’est plus le cas aujourd’hui, mais il y a encore quelques années, nous pouvions différencier deux types de vin : les vins de table (pas très bon), et les grands vins (très bon). Pour apprécier un grand vin, toute une éducation des papilles, de l’odorat et même de la vue était nécessaire. Il fallait connaître le nom des millésimes, des cépages, les différences entre les années, le vocabulaire propre à la dégustation, les aliments avec lesquels le servir, etc.
Le geste (ici, boire du vin) n’est donc pas uniquement un mouvement, il implique tout un arrière-plan de connaissances, fruit d’un long apprentissage.
De ce fait, dans tous les domaines, dans tous les métiers, partout où il y a une spécialisation, il y a un geste ; écouter de la musique, lire, écrire, filmer, prendre des photos, et même, jouer au foot…

Les barbares et l'alcool
Je lève mon coude à la vinasse, aux poivrots et aux poètes-pouet. Parce que c’est un beau geste « Burp ».
Kermit ne lit pas, il boit
Je lève mon coude à la vinasse, aux poivrots et aux poètes-pouet. Parce que c’est un beau geste « Burp ».

Remontons dans le temps avec un deuxième exemple : la littérature, et plus précisément, le roman. Après tout, si vous surfez sur ce site, ce sujet doit vous intéresser.

La littérature

Avant, au temps où la France avait un roi en un seul morceau, où la Louisiane était française, et où l’on écoutait de la musique classique dans des salons aux plafonds peints à la feuille d’or (jusqu’au milieu du 18e siècle), très peu de gens écrivaient : « ceux qui lisaient des livres étaient essentiellement ceux qui en écrivaient ».
Il y a deux grandes explications à cela : peu de gens savaient lire, et peu de gens avaient le temps de lire.
Or, avec la révolution industrielle, une nouvelle population va émerger, et satisfaire ces deux critères : la bourgeoisie.
Les bourgeois vont accéder au « geste » de la lecture, et de l’écriture. Mais ils ne vont pas se contenter d’imiter les aristocrates en lisant les mêmes livres qu’eux, non, ils vont suivre leur propre voie, lire et écrire leurs propres livres : les romans.

Aujourd’hui, les romans des XVIIIe et XIXe siècles peuvent nous sembler difficiles d’accès. Ils abordent des thèmes jugés rébarbatifs (philosophie, sociologie, histoire…) Les personnages portent des noms à particule et des tenues d’officiers glorieux. Ils sont écrits à des temps compliqués, que plus personne n’utilise. Sérieusement, qui raconte son week-end à l’imparfait du subjonctif ?

De ce fait, ces romans nous semblent réservés à un public « d’élite ». Mais en réalité, c’est exactement comme pour le vin. Pour lire des romans du XVIIIe et XIXe siècle, il est nécessaire de connaître, au moins une partie, des codes accompagnant ce geste.

Les loisirs barbares d'un jour, sont les loisir bourgeois du lendemain
Vie et plaisirs bourgeois
Littérature, écriture, lecture : des loisir bourgeois
Vie et plaisirs bourgeois

Un geste c’est donc une sorte de code ?

Pas tout à fait.
Un geste s’accompagne d’un code.
Et la connaissance de ce code nous rattache à un groupe : les amateurs de vins ou les bourgeois dans les deux exemples cités précédemment.

Mais alors ? Et le barbare ?
Et bien le barbare effectue le geste, en s’affranchissant du code.

Les vieux vins, cultivés et dégustés par des générations d’œnophiles, et produits sur des terres où la vigne pousse depuis 2000 ans, sont progressivement remplacés par des vins américains1, bus par des touristes avec des chips et des cacahuètes.
Le roman bourgeois est noyé au milieu de livres où l’aspect littéraire est, si ce n’est moins travaillé, disons moins visible, et plus ou moins écrit par des vedettes de la télévision, du cinéma, voire même, sommet de la barbarie : des Youtubeurs !

Mais quelle horreur ! Quelle bande barbare d’horribles Barbare !!! me direz-vous.
Pas si vite.
Nous l’avons vu avec les bourgeois et leurs romans du XVIIIe
Le Barbare d’un jour peut être le civilisé du lendemain…
(Eh oui.)

Comment une telle chose est-elle possible ?
Excellente question !
J’y répondrais dans le prochain article

Mais si vous êtes pressé comme un jus d’orange, vous pouvez regarder la conférence de Stéphane Édouard, en tête de cet article, ou encore mieux, lire le livre d’Alessandro Baricco :

1Plus précisément, c’est le goût des américains qui se répand et s’impose aux producteurs traditionnels.

Si vous avez une question ou une remarque, que vous souhaitez me signaler une erreur ou une approximation, ou encore mieux, établir un parallèle avec une autre idée, les commentaires sont là pour vous 😉

À bientôt !

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