Les Barbares de Baricco #4 : Make Barbarians Great Again
Bon bon bon. Nous voici au quatrième billet sur les Barabres, et je suis ravi de constater que vous êtes très nombreux à avoir réagi à mon article paru sur le site actualitté, certains l’ont commenté, d’autres sont venus jusqu’ici, et les plus téméraires se sont inscrits à ma newsletter.
Que demander de plus ?
Peut-être acheter mon livre ? 😀
Continuons notre découverte du livre de Baricco, et plus précisément des Barbares. Nous avons déjà étudié l’importance de l’invention technologique, le geste et la langue Barbare. Aujourd’hui nous allons nous intéresser au modèle culturel impérialiste et au spectaculaire immédiat. Je vous rappelle la phrase disséquée :
Une invention technologique permet à un groupe humain aligné essentiellement sur le modèle culturel impérialiste d’accéder à un geste qui lui était jusque là interdit et qu’il relie d’instinct à un spectaculaire immédiat, à un univers linguistique moderne, conduisant ainsi ce geste à un succès commercial foudroyant.
Alessandro Baricco
Le modèle culturel impérialiste, c’est quoi ce machin-là ?
Par modèle culturel impérialiste il faut comprendre modèle culturel américain. Instinctivement on peut penser aux films ou aux séries, mais cela va bien plus loin que ça.
Pour un peu plus de concret, amis œnologues, reprenons ce que nous explique A.Baricco avec le vin. D’après lui, le goût américain s’est exporté grâce au langage (les notes dans les revues spécialisées, comme nous l’avons vu dans le dernier billet) mais aussi grâce à d’autres supports, comme les restaurants des grandes chaînes d’hôtels américaines par exemple, où les vins américains sont servis. Ainsi, en France, grand pays touristique, mais également partout dans le monde, les goûts américains se répandent via ces relais.
Et dans la littérature ?
J’ai récemment pu observer un exemple de cet impérialisme culturel. Je vais vous raconter ma vie, désolé.
Il y a quelque temps, j’ai voulu mettre en ligne un dossier de presse pour mon livre. Et comme je n’avais aucune idée de ce à quoi ça ressemblait, j’ai cherché des modèles sur Internet. J’en ai parcouru plusieurs en diagonale, photos, descriptions des livres, interviews… Bref, j’ai essayé de me faire une idée.
Dans un des dossiers (j’ai oublié le nom du livre) il était question de vin. À ce moment-là, j’écrivais le troisième article sur les Barbares, alors forcément, j’ai souri au clin d’œil du hasard, et j’ai lu le paragraphe. Pour signifier qu’un des personnages féminin était français, l’auteur soulignait qu’elle hésitait entre du Bourgogne et je ne sais plus quel autre vin, pour boire dans sa baignoire après une journée de travail.
Pour l’auteur, hésiter entre deux vins (probablement Barbares ?) est un signe, un marqueur de francité.
Avant de poursuivre dans l’analyse de ce passage, je tiens à signaler que je n’ai pas lu le livre en question, ni même la totalité du dossier de presse, et qu’il n’est donc pas question de juger de la qualité du roman ou de la plume de l’auteur. Je veux simplement et seulement m’arrêter sur cette équation :
Baignoire + Vins (+ hésitation, donc connaissance) = français
Franchement, qui, parmi mes compatriotes, boit du vin dans sa baignoire ?
Ce qui est amusant dans cette image, c’est qu’elle vient directement des États-Unis, où elle est fréquemment employée pour signifier un certain raffinement.
Pour les Américains :
Baignoire + vin = raffinement = luxe = France
Bon ok, je schématise un peu. Mais je suis sûr que vous voyez parfaitement ce à quoi je fais référence ; l’image invoquée par l’auteur vient directement d’outre-Atlantique. On pourrait très bien la retrouver dans une pub de Cameron Diaz.
Vous n’êtes pas obligés de me croire, mais trente secondes après avoir écrit ces lignes, j’ai consulté le compte Instagram d’Avaline ; parce que quand même, ce serait drôle… Et bien devinez quoi :
Chercher des preuves censées valider une thèse n’est pas conforme à la méthode scientifique (c’est même l’inverse) mais pour le coup, mon intuition était juste.
Comment qui font les Ricains ?
Comment l’imaginaire américain arrive-t-il à entrer à ce point dans l’esprit des gens ? Y compris celui des créateurs. Je ne vais pas écrire un paragraphe sur le soft-power américain, j’imagine que vous en avez déjà tous entendu parler.
Le soft-power américain, le cinéma : les blockbusters, McDonald et compagnie, ok, c’est très certainement une évidence pour beaucoup d’entre vous. Mais ça ne s’arrête pas au seul visionnage des films. La façon « américaine » de travailler s’exporte aussi très bien, en particulier dans la littérature. Aujourd’hui, les universités françaises proposent des masters de création littéraire développés sur le modèle anglo-saxon.
Et ce n’est pas tout. Sur Internet, en particulier YouTube, les conseils d’écriture pullulent : « Comment réussir ses descriptions », « Comment rendre crédible un personnage » etc.
C’est très bien, les écrivains cherchent à progresser, le niveau augmente, je n’ai aucun souci avec ça (je suis d’ailleurs abonné à bon nombre de ces chaînes, et regarde régulièrement ce type de contenu). Non, le problème vient de l’origine des conseils : les « règles d’écriture » proviennent quasi systématiquement du monde anglo-saxon, avec, érigé en saint protecteur des écrivains, Stephen King, dont le livre Écriture mémoire d’un métier tiens parfois lieu de Bible. On retrouve aussi bon nombre d’ouvrages destinés aux scénaristes, parfois même très théorique, comme Le voyage du héro par exemple.
Je ne veux pas critiquer la volonté de se former, mais attirer votre attention sur un point : l’uniformisation des techniques d’écriture en s’appuyant sur le modèle US, mis au point pour produire à la chaîne des Blockbusters / Bestscellers. Ces principes culminent dans une formule devenue mantra, et dispensée par absolument tous les créateurs de contenus / formateurs / conseillés, et en anglais s’il vous plaît : show, don’t tell. (ne raconte pas, montre).
Est-ce que Céline show don’t tell ? Est-ce que Camus show don’t tell ? Est-ce que que Tolkien (oui un Anglais) show don’t tell ? Et les Russes ? Tolstoï, Dostoïevski est-ce que qu’ils show don’t tell ?
Show, don’t tell est un bon conseil pour rendre la lecture agréable, captivante, ok, mais ce n’est pas une loi. Or, la pléthore de conseils en écriture, provenant tous du même grossiste américain, érige ce genre de formules en commandements à graver dans du marbre blanc. Si nous écrivons tous selon les mêmes règles, les mêmes formules, les mêmes schémas, n’allons nous pas finir par écrire les mêmes livres, divertissants certes, mais interchangeables et prévisibles ?
Le modèle culturel impérialiste : conclusion
Ce texte est déjà long, je ne pensais pas écrire autant. Il est temps de conclure, nous aborderons le spectaculaire dans le prochain billet (décidément, mon plan ne se passe pas du tout comme prévu…).
En résumé, nous savons que par modèle culturel impérialiste », il faut comprendre « imaginaire américain, diffusé (voire imposé ?) grâce à l’hégémonie de son industrie culturelle, via des « produits culturels », des méthodes pour les fabriquer (universités, formations) et des lieux de diffusion (grandes enseignes culturelles, type Fnac ou Virgin). Je reviendrai sur le sujet des enseignes culturelles dans la partie dédiée au succès commercial des Barbares.
Allez, on relit notre phrase fétiche.
Une invention technologique permet à un groupe humain aligné essentiellement sur le modèle culturel impérialiste d’accéder à un geste qui lui était jusque là interdit et qu’il relie d’instinct à un spectaculaire immédiat, à un univers linguistique moderne, conduisant ainsi ce geste à un succès commercial foudroyant.
Alessandro Baricco
Vous allez la connaître par cœur, mais j’espère qu’elle devient plus claire !
À bientôt,
Arthur Constance